Première lettre trouvée. Désarticulation

Depuis quelques jours, je me sens suivi. J’entends des pleurs, des chuchotements juste à mon oreille. Mais, quand je me retourne, il n’y a plus personne.

À plusieurs reprises, j’ai cru apercevoir la fuite d’une forme désarticulée. La dernière fois, je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à Amal. J’ai voulu l’appeler mais je n’ai pas réussi à prononcer son nom. C’est en la cherchant que j’ai trouvé des feuilles de papier abandonnées près d’un tas d’ordures. J’ai commencé à t’écrire avec son fantôme à l’esprit. Je sens que nous arrivons à la fin de notre voyage.

Tu me lis mais je ne te connais pas. Je ne sais pas non plus quand tu trouveras mes lettres. Ce que tu auras connu. Ce qui doit être dit. Je ne sais même pas si j’aurai assez de papier. Ici, nous avons peu de choses. Vois-tu, où je suis, même les rêves font défaut. C’est ironique : je suis parti pour ne pas mourir de mes rêves, les mêmes qui me manquent aujourd’hui. Et toi, est-ce que tu étais là quand c’est arrivé ? Est-ce que tu te souviens de ton premier cauchemar éveillé ?

J’ai un souvenir très clair du mien.

Il est tôt. Comme tous les matins, je cours au bord de l’eau. Puis, je m’assois dans la lumière. Je ne pense à rien. Je regarde la mer, ses vagues régulières. Le monde n’est plus que trois lignes. Une ligne de ciel. Une ligne d’eau. Une ligne de sable. Jusqu’à ce qu’apparaisse, dans le coin de mon œil, une forme ronde et noire. Je n’arrive pas à comprendre tout de suite ce qu’elle est mais elle s’accroche, obstinée. Je finis par la reconnaître comme étant un chapeau de laine sous lequel marche un homme en costume sombre. Il voudrait que je le regarde. Je résiste et j’ai de plus en plus de mal à respirer. L’homme continue d’avancer.

Au loin, une sirène d’alerte se déclenche. Elle est dissonante, c’est insupportable.

L’homme s’approche toujours plus. La mer se gonfle, se transforme en muraille liquide, détruisant l’horizon. Et lui est si proche que mes os sont traversés par les vibrations de son rire de cailloux, mêlées aux cris ondulés de la sirène. À cet instant, je ne vois plus de vagues. Je ne vois plus qu’une porte ronde et noire. Je pleure et mes larmes restent suspendues à la peau de mon visage. Enfin, un clignement des yeux, un battement de cils et la mer est à nouveau calme. Il n’y a plus ni porte, ni homme étrange.

C’est comme ça que tout a commencé pour moi. Je te raconterai peut-être d’autres cauchemars mais j’ai peur de ne jamais entendre les tiens.


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Commentaires

2 réponses à “Première lettre trouvée. Désarticulation”

  1. Avatar de aquarellia

    Merci pour cette sombre mais magnifique lecture..

    1. Avatar de C. Phobós

      Merci pour ton soutien, les prochaines lettres seront publiées dans les semaines qui arrivent. Que penses-tu de l’ajout des éléments sonores ? J’aimerai bien y associer une playlist finale.

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